Photo : Lizzie Sadin ou « Le Piège, traite des Femmes au Népal »




Lizzie Sadin 





Lyzzie Sadin 


Lizzie Sadin, née en 1957, est une photographe spécialisée dans les sujets de société et portant sur les droits humains.
Lizzie Sadin fait ses études à Paris, à l'université Sorbonne-Nouvelle. Elle est titulaire d'une maîtrise en langues étrangères appliquées anglais-espagnol. De 1993 à 2002, elle collabore à l'agence photographique Rapho
À partir de 2002, elle travaille pour l'agence Editing.







En 1998, Lizzie Sadin publie une série sur les violences conjugales en France "Est-ce ainsi que les femmes vivent ?".

De 1999 à 2007, elle enquête sur les conditions de détention des mineurs dans onze pays. En 2007, ce reportage donne lieu à la publication d'un livre édité par Actes Sud "Mineurs en peines" et d'une exposition. Il est récompensé par de nombreux prix.








De février à mai 2017, Lizzie Sadin parcourt le Népal pour témoigner d'une traite humaine basée sur le genre, où elle montre que les filles et les femmes sont vendues et prostituées de force ; son reportage reçoit le prix Carmignac du Photojournalisme, lors du festival Visa pour l’image à Perpignan, le 7 septembre 2017.





Après trois mois d’enquête et de prise de vue, la photojournaliste qui défend les droits humains et en particulier ceux des femmes depuis plus de 25 ans, découvre un pays où les femmes sont les plus maltraitées au monde.

Elle confie à notre confrère Mowwgli :

« Il m’a fallu trois mois pleins pour explorer les réseaux, enquêter et faire le reportage. Pendant un mois, j’ai dû voir et revoir 4 à 5 fois chacune de la trentaine d’associations investies sur ce problème. Vus les embouteillages inimaginables à Katmandou et le temps nécessaire pour convaincre et rassurer sur ce que je voulais faire, chaque rendez-vous prenait la journée…
Le premier mois, je n’ai pas fait la moindre photo, je transportais mon matériel sans jamais le sortir de mon sac.
J’étais très inquiète.
Je menais des interviews, j’interrogeais des responsables qui me parlaient de la traite, de la manière dont les femmes et jeunes filles sont leurrées, piégées. Mais comment le montrer ? J’ai aussi rencontré des policiers en charge du trafic d’êtres humains d’Interpol, un juge de la Haute Cour qui a beaucoup lutté pour faire avancer cette cause, les responsables des plus importantes ONG… Tous me décrivaient le fonctionnement des réseaux mafieux qui tendent des pièges à ces jeunes femmes.







J’ai vu petit à petit la violence extrême qui touche ces femmes depuis toujours dans cette société très patriarcale où 60 à 70% des femmes sont victimes de violence depuis leur plus jeune âge, elles subissent des traditions culturelles discriminantes qui les considèrent comme des êtres inférieurs, voire comme des biens. Elles sont mariées de force, répudiées, violées, assassinées… Pour durer, elles doivent endurer…
Nulle part au monde, les femmes ne sont autant maltraitées. C’est la face cachée du paradis des trekkeurs.






Ceci a été aggravé par le tremblement de terre en 2015. La plupart d’entre elles ont perdu leur mari, leur emploi, leur maison ou sont séparées d’un conjoint travaillant à l’étranger. Elles se retrouvent seules, sans ressources avec leurs enfants, et deviennent ainsi la proie rêvée pour les trafiquants. Les chiffres sont alarmants et la situation particulièrement désespérante !

Il faut tout d’abord expliquer que la traite dont elles sont victimes revêt deux voies principales : interne et externe, elles-mêmes divisées par deux trajectoires différentes.
Le trafic interne d’abord, depuis les zones rurales vers la vallée de Katmandou : les jeunes filles, conduites à Katmandou, pensent y trouver un emploi ou plus d’opportunités et se retrouvent pour beaucoup victimes de toutes formes d’exploitation, en particulier d’exploitation sexuelle, et ce de plus en plus jeunes, un tiers des filles sont mineures. Elles travaillent dans le secteur du « loisir », ceci dans 4 types de lieux : les Cabin restaurants, les dance bars, les Dohoris (bars chantants) et les salons de massage… J’ai fréquenté tous ces lieux pendant 3 mois…







Le trafic externe portait traditionnellement, jusqu’il y a peu, sur l’Inde où les filles étaient enfermées dans ce qu’on appelle les « Red light district », à savoir les bordels où elles sont traitées comme des esclaves d’un autre âge. Depuis une dizaine d’années, elles ne sont plus simplement envoyées en Inde, mais aussi au Moyen-Orient, en Corée du Sud, en Chine et en Malaisie. J’ai donc été à la frontière avec l’Inde pour voir le passage des filles avec des trafiquants, le travail des ONG et de la Police. Je passais des nuits à l’aéroport pour voir celles qui partaient dans les pays du Golfe, au Moyen Orient ou qui en revenaient, cassées, éprouvées, usées. J’ai été également dans plusieurs régions à la rencontre de ces femmes revenue du Koweït, Dubaï, Qatar, Malaisie ou ailleurs pour les interviewer. Ce que j’ai vu et entendu ne laisse pas indemne…

- Comment Lizzie a-elle réussi à s’infiltrer dans ces réseaux de vente et de prostitution forcée de ces femmes ?

« J’ai écumé des dizaines et dizaines de ces lieux à Katmandou, de jour comme de nuit. Je parlais avec les filles, avec les tenanciers, patrons et patronnes, même avec les clients qui venaient se servir en chair fraîche… Je n’ai pas toujours été acceptée, mais j’insistais, je revenais, et petit à petit, j’ai réussi à me faire transparente, parfois tolérée, mais pas toujours, ni partout… alors j’allais ailleurs. Parfois les discussions étaient au vu et au su de tous, dans d’autres cas, je prenais des photos en « caméra cachée », discrètement… Etre une femme dans ces lieux dédiés aux hommes n’est déjà pas anodin et surprend les clients. Prendre des photos encore moins… J’étais très heureuse à chaque fois que j’arrivais à attraper une photo, je me disais, « toi ma petite, je vais porter ta situation à l’extérieur de ton univers et porter nos regards ici, à l’intérieur, sur ce que tu vis ». C’est ce qui me motivait tout le temps, témoigner, rapporter des images. Ce n’était pas sans risque, mais je n’ai pas été déçue du résultat.





Il m’a fallu oser, faire face aux maris, proxénètes, trafiquants, gardes devant les dance bars, bouncers, propriétaires des lieux , me battre pour obtenir les autorisations afin de suivre le travail des policiers à la frontière avec l’Inde ou à l’aéroport pour celles émigrant vers Dubaï, Qatar, Koweït ou ailleurs.





Ce sujet, c’est l’omerta au Népal, il est inconnu des népalais de la rue… Ils ne considèrent pas que ce soit du trafic ou de la traite. Ils pensent que c’est une prostitution traditionnelle et personne ne sait ce qu’il se cache derrière… Pas les gens, ni les familles des filles, ni les filles elles-mêmes. Alors je me sentais le devoir de le faire pour porter à notre connaissance car sans image, pas de fait… J’espère que ce travail va contribuer à sensibiliser sur ce quelles vivent. »

- Reste-t-il un espoir pour ces femmes ?

« La traite s’alimente de la vulnérabilité de ces jeunes filles et de ces femmes, du manque d’accès à l’information des familles restées au village, d’une discrimination envers les femmes très forte dans cette société patriarcale népalaise, de l’extrême pauvreté (1 personne sur 4 vit sous le seuil de pauvreté) et des lourds déficits dans l’éducation en général et en  particulier celle des filles.
Pour elles, l’espoir c’est un emploi lucratif. De quoi envoyer chaque mois de l’argent à leur famille restée au village. Et il suffit qu’un trafiquant leur promette un bon travail à l’étranger pour qu’elles s’envolent sans papier, sans garantie. Elles sont naïves et croient ce qu’on leur dit, car elles ont besoin d’y croire ! Et beaucoup disparaissent sans que personne ne les cherche, quasiment sans laisser de trace.





Alors l’espoir pour ces femmes ? Il faudrait miser sur leur potentiel, leur donner un accès digne à une éducation, agir sur ce qu’on appelle « l’empowerment » des femmes, c’est à dire développer leur autonomisation et lutter contre cette pauvreté qui les pousse à croire n’importe qui leur fait miroiter des choses dont elles rêvent, avoir à manger, un toit et nourrir leur famille.

La pauvreté est vraiment une des raisons majeures du problème. Il faut dire que le Népal se classe au 138ème rang de pauvreté sur 169 pays. Le Produit National Brut par personne du Népal est le plus faible des pays d’Asie du Sud.







Je suis assez pessimiste car la grande pauvreté ajoutée à la discrimination de genre très ancrées ne font pas bon ménage pour les femmes…
Une personne en situation de grande pauvreté ne possède qu’une seule richesse, elle-même, et lors de la transaction, fondée sur la force, le mensonge ou les fausses promesses, la victime croit vendre sa seule force de travail alors que son « employeur » achète sa personne elle-même… C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’en parler, la sensibilisation est aussi une des clefs ! »

Voir l’exposition

8ème édition du Prix Carmignac du Photojournalisme
« Le Piège, traite des Femmes au Népal »
par Lizzie Sadin
jusqu’au 12 novembre 2017
Hôtel de l’Industrie
4, place Saint-Germain-des-Prés
75006 Paris

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